Textes
Daniel Androvski
Appareil d’Elizabeth Saint-Jalmes est une invitation mouvante de corps hallucinés que les schizoïdies médiatiques et sociales proposent mais aussi étrangement dénoncent.Une invitation à de grands dessins et sculptures de corps dansants.
Elle nous convie à traverser ses installations comme une expérience physique où la décorporéisation imaginaire et le corps réel s’unissent et se dissolvent , renvoyant au spectateur que nous avons l’impression d’être notre triste et normative corporéité.
Appareil est une série de corps mutants, de personnages cocufiés par l’imagerie. Appareil est un « essai d’être » en opposition au non-être ou à l’être attaché à l’histoire de l’homme animal social, culturel et biologique.
Aimer son prochain quelle drôle d’idée et pourquoi pas celui qui précède ?
On y voit émerger un panthéon corps poétique qui se joue d’états de formes régressives.Et si le corps n’était qu’un rêve, qui en serait le rêveur ? A contrario si le rêve n’était qu’un corps, qui en serait le dormeur ? Un corps dormant pourrions-nous dire, mais que penser d’un corps éveillé qui parle d’un corps dormant ? Finalement qu’en sait-il ? mais aussi où
en est la logique de l’intérieur et de l’extérieur ? Logification qui nous met face au corps dévoré par ses sombres tabous, conscient de sa monstruosité, un de ces amas tristement
vautré dans l’idée du propre, du correct. Amas en quête de liberté, de territoire que seul
l’anarchie de la pulsion construit ou désordonne.
Un corps rhizomique cristallisant des paysages sans horizons, en quelque sorte sans interdits. À cet égard le corps ne représente rien d’autre qu’un autre corps, autre que les autres et le même que le nôtre dans les autres que nous incarcérons. La caste des civilisés appellerait ça l’amour. Macabres locataires en mal de propriétés que l’idée saugrenue du lumineux inspire. Alors, presque confiants, ils s’habillent, se vêtissent, se drapent benoîtement, ils s’encostument, s’enrobent, s’enchemisent et sans culottes en quelques sorte, ils s’en doutent – et vous ?
Appareil pourrait être l’esquisse d’une réponse.
Daniel Androvski
Psychanalyste
2009.
Yann-Armel Huet
Quelque part dans les airs des hordes de démons s’accrochent aux lambeaux de poussière que tu laisses derrière toi ils te protègent grognent vocifèrent écartent les importuns avec leurs ruades éructent en guettant pour toi tous les signes qui pourraient nourrir ta création Ton cerveau est en fusion De la lave coule de ton vagin Tu brûles J’entends tes rires Des savants des gouvernements des mercenaires ont lancé des tas de contrats sur ta tête Ils rêvent de te mettre des fils dans les yeux Ils y ont vu tous les univers s’y bousculer Des images circulent sur Internet Ils rêvent d’y trouver la clef de la chambre silencieuse des réponses du monde Ils sont à ta poursuite Mais toi tu ris Tes corps s’arrondissent Tu deviens multiple Tes corps se retournent sur eux-mêmes Des mains jaillissent de leurs entrailles les palpent les caressent les font jouir Ce que le sexe nous est à l’intérieur tu le sculptes comme s’il ne s’agissait rien d’autre que de la pâte à modeler Les foules sont médusées Ta vision s’abat sur le monde comme des missiles hors de contrôle Des fous commencent à te vouer une religion Les Etats parle de t’interdire t’expulser J’entends toujours tes rires A Paris à l’assemblée nationale les députés tremblent croient découvrir que pour la première fois « l’esprit fait corps avec la matière » « la matière est devenue esprit et inversement les frontières sur lesquelles lesquelles nous avons bâti notre civilisation ne sont plus » Délires Fièvres Empoignades On convoque des spécialistes Mais ils deviennent fous eux aussi Le parlement prend peur Une dictature s’installe Des lois martiales pour te faire emprisonner sont votées des nuits sans lune Pendant ce temps Paris commence à s’écrouler Par morceaux Puis par quartiers entiers Partout d’étranges corps flasques prennent possession de la ville s’infiltrent par les fentes des murs les interstices et se laissent couler dans les chambres à coucher Orgies Beauté L’armée tente une percée « ON VA LES DELOGER, LES GARS! » Las Ce que les soldats découvrent les terrorise Ces corps d’une nouvelle espèce avalent leurs balles dans leur chair en poussant des orgasmes Plus on les abat plus la chair s’éclate et plus elle se répand Le général en chef des armées se suicide Le premier ministre se suicide Suicides en séries Débâcle Les plus grands chefs d’Etat se retrouvent dans un souterrain secret pour une réunion de la dernière chance Le professeur Zpounk leur avoue : « Il est trop tard, messieurs. La terre ne tourne plus sur elle-même. Elle a pris vie comme dans un des dessins de cette diablesse. Il n’y a plus de séparation entre les choses. Je… Je ne suis plus en mesure de vous donner une explication adéquate de la réalité. Trop tard, trop tard, trop tard… » On entend des rires A vous glacer le sang Le souterrain explose Des armées difformes de résistants s’abattent sur la terre par paquets informes de chair Des cordons organiques relient tous les soldats Les yeux sont dans les ventres Les mains tâtent les corps Ceux des humains qui se cachaient encore fous de peur bientôt à leur tour se noient dans cette masse humaine Un frisson de plaisir les traverse comme s’il les buvait lorsqu’ils rejoignent ce grand tout Et leurs esprits sont déliés Ce qui était tapis au fond d’eux-même fleurit dégorge vomit respire comme cela ne s’était pas produit depuis des siècles et des siècles Le monde est désormais une toile blanche avec un corps rose beige terre de sienne qui peu à peu s’étale Tout est un Lumineux Et bientôt ce frémissement atteint les frontières d’autres mondes Plus tard à des années lumière de là les savants du futur ne sauront pas fournir une explication de ce qui s’est produit En fouillant les restes d’anciennes civilisations ils penseront que les êtres humains de l’époque avaient produit une arme plus destructrice que n’importe quelle autre arme Les cons!
Jérémy Tissier
La peau
mousse qu’affleure la roche
ravine
lèche oui allez va-y lèche la pluie
tout l’temps tout l’temps
creux d’une caresse marqué dans un pli
dur minéral élastique au temps
tu t’enfonces tu t’enfonces sans rien céder
sans détruire sans arracher
doucement
la peau
l’écoulement souple
l’aorte fantastique branchée au coeur de terre
roche face piquée du vent
surface au vent
qu’à la surface
le vent sur la surface
balaye d’épingles cube ronfle et cartonne saccade
à-coup qui tourne
vent panique
déffleure et griffe et gueule
une gueule dans une gueule
sans limite sans trait noir
tout le dehors
invisible
échaffaudage nervures de feuilles
corail plaque de bitume
une folie construite par des détails affolés
poreux
succession d’alvéoles accélérant le vide
le vide se forme
il est plat
il avancejusqu’à la peau qu’il rencontre
qu’il englobe
la peau moulée par le vide
par cette immense barrière sphérique anguleuse crissante
d’objets de choses et d’êtres déchaînés
des tubes perforés de ponts
le vide
toujours tout autour
cernant la peau
la peau surface
la peau limite
la peau frontière
entre deux mondes qui se ressemblent.
Jérémy Tissier
2006