46 ème miracle (2019)
Une performance conférence.
Une enquête sur ce que la notion de miracle de foi impliquent comme mises en oeuvre.
Sur les miracles que l’art peut opérer, sur les problématiques soulevées par les dynamiques d’ambition et d’usage des symboles, confrontant les acteurs du pouvoir à leurs mécaniques.
L’action implique un objet, la sainte coiffe du christ revisitée en «jaune social» un texte et une chanson. Elle questionne l’héroïsme en plaçant la révolution comme la substantifique moelle de toute création et de tout mouvement vital.
De et par Elizabeth saint-Jalmes avec Emilie Houdent
Jubilé de la cathédrale de Cahors / Colloque le temps d’un monument
Septembre 2019
Dans les jours qui suivirent, je décrochais mon téléphone et reçus avec béatitude l’annonciation proférée par Emilie Houdent : J’avais été élue pour créer une performance qui aurait lieu lors du colloque lié à la célébration du jubilé de la cathédrale de Cahors, du mystère de l’autel disparu en 1580, et de l’incroyable culte de la Sainte-Coiffe.
Je ne connaissais pas la sainte relique qui avait entouré la tête du Christ dans son tombeau. Une sainte relique miraculeuse.
Dans les heures qui suivirent, je me rendis dans une région aquatique de la ville de Bordeaux, la piscine judaïque. Alors que j’effectuais ma douzième longueur et que je réfléchissais à cette performance, j’ai été visitée par l’archange Pierrick Sorin.
Son visage se dessina clairement dans le PVC du plafond de la piscine et il s’écria : « Saint-Filliou et moi-même te bénissons entre toutes les artistes et notre bénédiction repose sur la performance que tu accompliras ».
Je compris alors que ma raison d’être là, parmi vous relevait du miracle, un miracle ordonné par la Sainte-Coiffe.
De retour chez moi à Bordeaux, Saint Robert Filliou ouvrit les pages de mon navigateur internet et la lecture de ses écrits me guida dans la complexe tâche qui m’avait été assignée.
Cela faisait un moment que je n’avais été invitée à travailler sur un projet aussi passionnant. Je me sentais revivre, gagnée par un esprit supérieur, mais lequel ? qui suis-je pour me trouver là devant vous ?
Je me questionnais sur la teneur du miracle ; quelle était sa nature ? Qu’allait-il m’arriver ? Qu’allais-je devoir accomplir ?
Qui de moi ou de ma performance allait bénéficier du miracle ? Bénéficier personnellement du miracle, ou en être le vecteur ?
J’allais devoir agir vite et pour commencer je mènerai une enquête pour comprendre en profondeur ce que la notion de miracle impliquait.
Je commençais mes recherches : pour pouvoir embrasser l’ampleur des champs d’action de la Sainte-Coiffe miraculeuse j’étudiais son histoire de ses effets dans le registre des miracles du fond greil tenu en 1669 par un certain Jean-Baptise Dadine D’Hauteserre, chanoine, directeur de la Chapelle du Saint-Suaire.
Il y raconte des miracles dans un style laconique sans détails, ni images.
On en dénombre une quinzaine, par exemple :
« Le 23 octobre 1669, un homme souffrant des yeux vient à la Chapelle, y fit dire des messes, fut mis en contact avec la Sainte-Coiffe et fut soulagé ». J’y découvris que plusieurs autres souffrants bénéficièrent d’un soin oculaire prodigué par la sainte relique. La sainte coiffe aidait-t-elle donc à voir ? à mieux voir ? à déciller ?
Dans ces récits, il est en tout cas partout question du contact entre la sainte relique et les souffrants, de leur mise en relation. Je me questionnai sur la nature de cette relation. Quelle était-t-elle ?Je lus alors des écrits du philosophe Hume qui pose la question de l’enseignement spirituel du miracle qu’il voit comme nul. Pour lui, un miracle est un enfermement : une expérience ordinaire (il suffit d’ouvrir les yeux) d’un fait extraordinaire. Une once du réel pur comme dit Bobin, suffit à qui sait voir.
Mon enquête commençait bien, je voyais clairement que pour être touché par un miracle il faut pouvoir le sentir, le voir, il faut y croire pour qu’il puisse se produire, que l’on ne peut être passif, qu’il faut y mettre du sien. Qu’un miracle implique obligatoirement un engagement du miraculé.
Revenons à Jean-Baptiste Dadine, et à son style sans emphase narrant les miracles.
C’est bien regrettable que ce chanoine fût dépourvu de plume. Car il avait fort intérêt à convaincre et à perpétuer la sacralité de la Sainte-Coiffe, sans laquelle sa famille perdrait la légitimité de sa position de notable : son aïeul Giron Dadine avait profité de la faiblesse du clergé
soumis à rançon par les Huguenots, en rachetant à bas prix le Domaine d’Hauteserre, devenant ainsi riche comme Hérode. Giron redora son blason en racontant comment, lors du saque de la Cathédrale en 1580, il récupéra la Sainte-Coiffe du trottoir où l’avait jetée les Huguenots qui n’avaient volé que le reliquaire et renié le Saint-Linge comme un vulgaire morceau de chiffon. Il s’arrogea ainsi une piété sincère par contraste avec l’appât du gain de la lie du peuple. Quoi de mieux qu’un sauvetage de Sainte-Relique pour se blanchir d’une trop évidente corruption et s’épargner d’éventuelles accusations du clergé ?
Ma théorie qui défend l’idée de la nécessité pour le miraculé d’être actif vis-à-vis de son miracle prenait corps : un miracle ne tombe pas tout cuit dans la bouche des passifs, un beau miracle, ça se gagne, ça se mérite, la sainte coiffe ne sème pas ses perles devant les pourceaux.
Une partie du miracle m’incombe donc. Un pourcentage de miracle il vaut savoir quoi en faire, il faut l’honorer, être à la hauteur, ça peut être encombrant pour un être ordinaire. Je devais croire en quelque chose pour que le miracle puisse advenir, pour qu’il puisse être performatif pour moi, en tant qu’être agissant, en tant qu’individu et en tant qu’artiste. L’archange Sorin ne m’était pas apparu à la piscine par hasard.
Moi aussi, comme les Dadine, pour honorer mon miracle, il fallait que j’y travaille d’arrachepied.
Ce serait un miracle gigogne qui opèrerait par strates. Mon premier miracle dépendrait de la piscine, car ce sport est vital pour mon corps qui souffre quotidiennement des stigmates de son histoire et je n’arrivais pas jusque-là à panser correctement ses blessures. C’est donc en ma condition physique et psychique que je décidais de croire. Il s’agissait de prendre main mon pouvoir d’agir sur le monde, mon corps et ma connexion aux esprits saints qui m’envoyaient des messages d’inspiration.
J’irai tous les jours.
En poursuivant mon enquête, j’appris que Dominici en 1640 (ami des Dadine tiens tiens), lui aussi avide de reconnaissance et de soutien après avoir essuyé un échec cuisant pour sa nomination à l’Université de Cahors, se saisit du mystère de la Sainte-Coiffe et en rédigea toute l’histoire.
La Sainte-Coiffe le récompensa par un triple miracle : le premier adressé à ses amis les Dadine à qu’elle conféra durablement le statut de bienfaiteurs, le deuxième miracle et pas des moindres est qu’elle offrit à Dominici une place d’historiographe du roi auprès de Cardinal Mazarin. Le troisième est celui qui le fit arriver à ses fins : il fut nommé à l’Université de Bourges. Il ne put guère en jouir longuement car il mourut à peine arrivé.
Mes investigations étaient décidément fructueuses et alimentaient ma théorie : le miracle n’est pas un évènement qui implique la spiritualité mais bien une mécanique : la Sainte-Coiffe miraculeuse est pourvue d’un mode opératoire que j’allais chercher à comprendre pour l’appliquer au sein de l’écriture de mon miracle.
Que voulais-je que la Sainte-Coiffe opère pour moi ? Je voulais me dépasser, dépasser mes limites. Je décidais d’écrire une chanson que je vous jouerai ou diffuserai. Je n’ai jamais réalisé de chanson seule, ça serait ma première, et mon deuxième petit miracle auquel contrairement à Dominici j’espère survive.
Puis j’observai qu’aucune famille princière n’avait fait construire de sanctuaire à la sainte relique, son culte cantonné aux cercles de petits bourgeois resta confidentiel. Malgré son installation en 1866 dans la chapelle axiale, elle ne ré-émergea pas de son état de délaissement dans lequel l’avait placée la Révolution. La séparation de l’église et de l’état puis vatican II acheva de la faire tomber dans l’oubli, ensevelissant avec elle la foi qui l’entourait.
Je discernais clairement les premiers points du mode opératoire de la Sainte-Coiffe :
-Croire en quelque chose et constater que cela fonctionne car on y croit : c’est la foi. Si on y croit plus, tout s’éteint.
-Réaliser que passé par le spectre de la fascination, la croyance et la vérité ne font qu’un
Si j’y croyais dur comme fer et que je travaillais avec ardeur, pourrais-je moi aussi grâce à cette performance enfin prétendre à l’élévation au rang d’artiste officielle ? je décidais que ce serait le troisième miracle auquel nous travaillerions ensemble, main dans la main avec la Sainte-Coiffe.
J’avais du pain sur la planche et pour avancer, je devais regarder la Sainte-Coiffe par le prisme de notre époque.
J’observe qu’ici, à Cahors, la Sainte-Coiffe miraculeuse avait re-réunit l’église et l’état : le maire et l’évêque brandissant ensemble les clefs d’un nouvel eldorado ! bien sûr ! le touriste pèlerin peut rapporter gros ! Et qui sait, peut-être la relique est-elle électoaliste !
Pour l’instant elle n’est performative que pour quelques privilégiés, si on regarde de plus près, nous tous présents ici sur ce bateau bénéficions des égards de la Sainte-Coiffe : certains par des communications, des publications qui étoffent les curriculum-vitae, d’autres par la vente de conférences que l’on l’imagine fort onéreuses, d’autres par la restauration du reliquaire et de la chapelle axiale ou d’autres encore par le financement de leur recherche scientifique avec ce colloque. Nous nourrissons tous de près ou de loin l’émerveillement qui nous nourrit à son tour, tous synodologues plus ou moins malgré nous, maillons agissants de la mécanique des suaires ainsi nommée par Pierre Dittmar.
Un autre point du mode opératoire de la sainte coiffe est particulièrement illustré dans la situation présente : Commencer par créer un symbole, un culte, déployer la créativité puis développer des savoirs faire, des activités qui permettent la création d’une économie.
Dans les jours qui suivirent, un samedi, je retournais à la piscine. Au moment où j’entendis la salutation de l’eau, j’eus une vision très précise du tableau « Jésus à la piscine de Bethsaïda » réalisé par Abraham Hondius en 1669. Ca vous dit rien 1669 ? c’est l’année au cours de laquelle Dadine rédigea son registre. Bref, dans cette peinture conservée au musée des Beaux-Arts de Brest Jésus se tient, gracieusement face à un nageur qui a l’air un peu souffrant lui montrant deux doigts en lui adressant un regard quelque peu absent. L’évangile dit que Jésus accomplit un miracle pour un paralytique. Pour Rimbaud, dans « Les proses évangéliques » et dans son texte « Bethsaïda» , le christ, dans une lumière jaune, éconduit avec condescendance le mendiant qui souille la piscine, le rejetant vers la ville des damnés, et exprime ainsi un mépris de classes.Il y a ici une voix à entendre, je ne pouvais pas faire comme Jésus, d’ailleurs même Jésus peut commettre des impairs, c’est humain, ce n’est pas parce qu’il n’est ici pas charitable que sa sainte coiffe ne pourra pas l’être. Quelques longueurs plus tard, L’archange Sorin me susurra dans les vaguelettes d’eau chlorée : » entre le pathil de Jésus et le bonnet de bain, il n’y a qu’un pas ». Au travers du spectre de l’interprétation de Rimbaud, j’ai compris que les miracles opèrent toujours pour les privilégies, il faut désormais que d’autres en profitent. La Sainte-Coiffe m’envoyait un message clair : elle, saint Filliou, et la natation me guideraient dans l’accomplissement d’un haut fait lié à la charité.
Mais qui a vraiment besoin d’un miracle aujourd’hui ?
La boucle était bouclée, j’avais tous les ingrédients pour agir. Je devais injecter le mode opératoire de la sainte coiffe dans un objet performatif qui prendrait le relais de la poussiéreuse sainte coiffe originelle.
Je créerai une relique contemporaine chargée de la foi, du pouvoir d’agir et de la mécanique de la sainte relique. Le miracle devait être élargi par le champ d’action de l’art. Je créerai une œuvre d’art qui devrait-être reconnue par l’institution pour être agissante pour le plus grand nombre via une économie et ce serait là le vrai miracle performatif de cet évènement pour lequel je travaille pieusement. C’était pour cela que j’avais été élue, et c’était en cela que mon miracle gigogne était complet. Mon miracle me dépasserait enfin !
Ma création emprunterait au mode opératoire de la Sainte-Coiffe pour compléter le sien les trois points suivants :
Réaliser le pouvoir du culte : c’est la com-union qui fait la force
Créer un objet transitionnel, intercesseur et relationnel, une relique
Appréhender le miracle comme une emphase fictionnelle qui rend l’impossible possible.
Je créerai quatre saintes coiffes réfléchissantes en jaune social dont l’intégralité des ventes sur le marché de l’art seront reversées à des collectifs d’action sociale.
Immédiatement de nouvelles questions apparurent : Est-ce que cela ne va pas me servir plus à moi qu’à eux ? Je décide d’emprunter le jaune social pour faire de l’art, et de reverser l’argent généré à qui de droit.J’ai beaucoup réfléchi au partage des bénéfices de la sainte coiffe réfléchissante. Au partage des richesses. Il faut que cela me dépasse mais comment ? comment assumer mon propre intérêt d’artiste qui cherche à intégrer l’histoire de l’art au passage. Parce que finalement, ce mendiant ou cet invalide, personne ne connait son nom, c’est Jésus qui reçoit le prestige, n’est-ce pas lui au final qui bénéficie du miracle ? Ne s’agit-il pas tout bonnement d’une récupération du mépris de classe par le miracle ?
Non, vraiment cet emprunt du jaune social n’est pas un geste anodin.
Ce que je que veux qui arrive, c’est que chacun se sente investi de la capacité à faire des miracles, connecté à sa puissance de transformation du monde.
Cette sainte coiffe réfléchissante est un symbole du pouvoir, un outil de révolution.
Désormais je vais enclencher le processus de béatification du jaune social.
Espérons que la relique accomplira sa mission symbolique de renversement du pouvoir en complétant le combat par le miracle de l’art, et de la révolution à venir.
L’iconographie du miracle a désormais ouvert ses portes au jaune social contribuant à sa reconnaissance comme un symbole des héros de l’histoire.